mathieulabrouche

mathieulabrouche

Critiques de films


QUAI D'ORSAY

orsay aff.jpg

Bertrand Tavernier s'offre et nous offre une friandise assez délicieuse, subtilement acidulée, faussement légère, étrangement enrichissante, d'après les BD de Blain et Lanzac.

 

Au début des années 2000, nous partageons le quotidien du cabinet ministériel des Affaires étrangères. Le titulaire du portefeuille n'est autre Dominique De V...pardon... Monsieur Taillard de Vorms.


Ballet des conseillers, hiérarchie casse-tête (entre filières administratives et politiques) circuits de décisions à faire passer le labyrinthe du Minotaure passe un inoffensif jeu de bambin... tout se télescope, tandis qu'approchent d'inquiétantes échéances mondiales, notamment une guerre en Irak... pardon au Lousdemistan, que veulent impulser les néo-conservateurs américains, et à laquelle s'oppose fermement De V... Taillard de Vorms.

 

Le cinéaste traite son sujet par un ensemble de...

 

MAIS NON, NON, STOP !!!

Après tout, vous le verrez, le film. Parlons de la fin.

Commençons par la fin. La toute fin. La fin des fin.

 

Question solennelle à Monsieur Tavernier :

avez-vous décidé de ce générique de fin ?

 

Si oui : expliquez-moi, c'est incompréhensible.

Si non, reniez-le, de grâce, et surtout engueulez très très très fort vos producteurs.

 

Le générique de fin de Quai d'Orsay fait appel à un procédé aussi récent que ringard : le « bêtisier incrusté ». On y voit des pastilles d'images, montrant des comédiens hilares suite à des répliques loupées. Vous voyez le truc... Ce n'est pas drôle, c'est totalement sans intérêt. Et surtout, surtout... intégralement contre-productif. Ici, on assassine même littéralement la très jolie dernière scène à l'ONU, et par extension l'ensemble du propos du film : faire fleurir le sérieux derrière la caricature, les enjeux derrière la drôlerie, la dignité de la politique derrière la clownerie des procédures.

 

Assassinat d'autant plus impitoyable que Tavernier et ses acteurs sont parvenus tout au long du film à maintenir cet équilibre improbable entre le drolatique et le grave. Bref, c'est hilarant mais c'est sérieux, cela devait se conclure évidemment par la scène du discours, sans rien derrière. Las...

 

Mais oublions ces 5 minutes calamiteuses, et repensons à Thierry Lhermitte, que l'on est si heureux de retrouver dans un forme éblouissante. On attendait ça depuis longtemps. Il incarne à merveille le dédoublement des genres. Son personnage de ministre grotesque, excessif, en soif d'absolu face au roc bureaucrate, est aussi risible qu'admirable.

Orsay 1.jpg

Maniaque du stabylo et d'Héraclite, envoyant valser les feuille A4 en claquant trop fort la porte des bureaux où il pénètre (effet cartoonesque parmi d'autres, split screens notamment, que Tavernier a eu la bonne idée d'inscrire au cœur du film), il incarne néanmoins une grandeur, un respect des mots et du langage, une vision politique souveraine, à travers ses trois concepts-guides : légitimité, lucidité, efficacité.

Correspond-il réellement à ce que fut Villepin ? Il semblerait que oui, mais laissons cette question aux historiens et politologues, en fait on s'en fout un peu...

 

Repensons aussi à toute la clique d'acteurs, tous fabuleux. Niels Arestrup, génial en directeur de cabinet fatigué mais stoïque et résistant. Raphael Personnaz, jeune premier qui se bonifie de film en film, parfait en jeune conseiller chargé des éléments de langage et de l'écriture des discours. Thierry Frémont, Julie Gayet. Mention spéciale et personnelle à Anaïs Demoustier, craquantissime et sensuellissime dans le rôle de la jeune institutrice engagée, chérie de Personnaz.

orsay 2.jpgOrsay 4.jpg


 

Quai d'Orsay est donc un ballet tout à fait recommandable, profond dans sa légèreté. La rythmique est globalement bonne et constante, même si un petit écrémage de 5 à 10 minutes pouvait s'envisager (on patine un choya aux 2/3 du film, avant la relance finale...)


Quel accueil lui réservera la critique parisienne, meilleure ennemie de Tavernier ? Nous verrons.

 

Allez-y, et surtout, vous l'aurez compris, sacrifiez votre vieux principe cinéphile, en partant vite avant la toute fin, au lancement du générique.

Histoire, paradoxalement, de... rester dans le film !

 


30/10/2013
0 Poster un commentaire

AFRIK'AÏOLI

Afiche afrik'aioli.jpg

Christian Philibert et sa bande d'Espigoule ne se reconnaissent pas dans le cinéma français actuel, avec d'un côté ses grosses productions, et de l'autre son auteurisme gonflant.

Ils veulent faire autre chose.

 

Je ne mets pas de guillements, faute de certitude sur les termes, mais c'est en substance ce que le cinéaste à confié au public des Lumières, venu remplir la salle ce Mercredi 18 Septembre lors de l'avant-première d'Afrik'Aïoli, « suite » des Quatre Saisons d'Espigoule.

 

Christian Philibert joint les actes à la parole. C'est le moins que l'on puisse lui reconnaître.

Le voici donc embarquant Momo et son pote Jean-Marc, le barman retraité  d'Espigoule, le temps d'un voyage au Sénégal, à la rencontre de Modou, leur fantasque chauffeur de taxi qui doit les accompagner, bon an mal an...

 

Ainsi, le film se « fait ». Car Christian Philibert « fait » ses films. Comme Cassavetes et sa bande « faisaient » les leurs (les premiers tout au moins).

 

Afrik'aïoli n'est pas un film « réalisé », mais généré. Au fil d'un voyage. Tourné dans l'ordre. Entre écriture et instants présents. Trames et impros. Docu et fiction. Ce n'est pas un film « joué ». Les acteurs y sont de fait merveilleux. Exceptionnels. De toute façon, les acteurs ne sont jamais meilleurs que lorsqu'ils arrêtent de « jouer « … Vaste champ de réflexion, mais restons au Sénégal...

 

Afrik'aïoli est une œuvre qui accouche d'elle-même en temps réel, gagne au densité au fil des séquences, se fait son épaisseur de minute en minute. Dans la sincérité, dans la complicité et la complétude, tant l'on devine que ce qui se joue à l'écran s'est aussi joué aux mêmes moments derrière la caméra.

 

Il faut bien le dire, Jean-Marc et Momo agacent, au début, durant 20 bonnes minutes. Ils agacent avec leurs regards jamais méchants, mais tellement pollués de préjugés sur l'Afrique. Ils se complaisent dans une forme de racisme bon-enfant, non conscient de lui-même, qui peut inquiéter, qui m'a moi-même un temps inquiété. J'ai en effet commis l'erreur la plus idiote qui soit : confondre le propos du film avec celui de ses personnages...

 

Car évidemment, les choses se mettent à évoluer, les relations se complexifient, les réalités de chacun s'entrecroisent plus lisiblement. Mais elles evoluent sans effet, sans affect fabriqué, sans message « humaniste » hyper-écrit dont nous gavent tant de films bien-intentionnés cherchant à dénoncer les « clichés ». Le scénario (car scénario il y a) est bien plus malin, souvent même sans concession. Le coup de foudre de Momo envers un belle et jeune danseuse, cette histoire d'amour présumée ainsi que sa résolution (mais chut...) illustrent toute l'intelligence du propos.

 Afrika 3.jpg

Les « clichés »... J'adore ce concept de cliché, je lui accorde bien plus d'importance, de saveur et de pertinence que celles que l'on veut bien lui accorder. Le cliché n'est pas la bêtise. Le cliché est un filtre de représentations premières dont nous sommes TOUS encombrés. Le cliché est culturel.

 

Christian Philibert ne renie pas les clichés. Bienveillant, ils les accueillent, accentuant la dimension « marseillaise » de ses personnages, au regard de la popularité de la cité phocéènne au Sénégal. Tout y passe donc : les amitiés se noueront dans le partage d'un aïoli, d'un match de l'OM (sur une télé pourrie), d'une partie de pétanque...

 

Côté africain, magouille et système D se joignent au flegmantisme et à la nonchalance.

Tout y passe, et l'on s'en régale.

 

Le croisement s'authentifie, les liens se nouent à mi-film, le temps d'une séquence « clip » sur la chanson Le Marché du soleil, par les amis du Massilia Sound System. La célébration de Marseille fusionnant avec les saveurs de l'Afrique. C'est dansant, c'est beau.

Afrik'aioli 1.jpg

Au cinéma, préférons toujours, et de très loin, celui qui reconnaît et accueillent les clichés, à celui qui tout à ses poses et ses postures, feint de ne pas en avoir. Hélas les seconds sont bien plus nombreux...

 

Afrik'Aïoli est un film simple et non simpliste, où la rencontre se fait sans fard, un film qui n'est pas autre chose que ce qu'il est, tout en restant dans le souci de la maîtrise formelle.

Car c'est du vrai beau cinéma, les plans sont léchés, la lumières chatoyante, le montage intelligent et fin.

 

C'est un film aussi et surtout extraordinairement drôle. Infiniment plus drôle que n'importe quel comédie calibrée. On rit aux éclats. Vraiment.

Afrikaioli 2.jpg

J'espère de tout cœur me tromper, mais je crains qu'Afrik'aïoli se fasse torpiller par une (bonne) partie de la critique, qui n'y verra que « clichés ». Je crains qu'il ne se heurte à une terrible condescendance.

 

Pour quelles raisons ? Pour tout ce que je viens de dire, mais via une lecture à l'envers...

J'espère me tromper... Rendez-vous en Janvier...


20/09/2013
0 Poster un commentaire