mathieulabrouche

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La vie d'un directeur de salle


L'OM ET L'ART ET ESSAI...

 

LA POSTURE, LE(s) PUBLIC(s) ???

ou

L'OM ET L'ART ET ESSAI...

 

« Ce n'est pas le même public... » Je hais cette phrase !!

Elle est mon ennemie. Mon ennemie de principe... quand bien même renverrait-elle à des réalités.

 

Je m'explique :

« Ce n'est pas le même public » est une phrase généralement prononcée avec aux lèvres un sourire entendu, tapi dans la statisfaction de l'entre-soi, bien au chaud dans sa marmite de convenances. Le triomphe de la posture. Nous sommes tous emplis de postures. Programmateurs et publics...

 

Malgré nous, les postures nous encombrent le cerveau, nous gélifient la matière grise par leurs douces et redoutables certitudes. Ils convient de les identitfier, de les cerner, de les approvoiser, éventuellement de s'en débarrasser. Lourde tâche... essayez donc de faire prendre conscience à un interlocuteur qu'il est (le cas échéant) dans la posture. « Pas du tout ! » s'offusquera-t-il.

 

C'est que la posture est maline !! Pas loin du cliché, quoique différente, elle s'impose avec douceur, en se présentant pour notre bien. Perverse, inconsciente, elle nous rassure et nous conforte sur ce que nous pensons être, éspérant nous préserver efficacement de ce que nous pourrions devenir et qui pourrait nuire à notre image.

 

Au cœur d'une réunion Art et Essai, allez affirmer par exemple que Brice de Nice est une excellente comédie, sous-estimée par la critique (car adulée par les ados ?) et pourtant pleine de belles choses et d'inventions.. Bon courage... au mieux face au tollé suscité, au pire face aux sourires en coin...

 

Je me souviens d'une discussion à Cannes avec une collègue exploitante d'un cinéma d'Art et Essai / Recherche. Je causais avec elle de mon autre activité, comédien sur les planches. Je lui expliquais jouer dans des spectacles ambitieux mais aussi populaires. Aussitôt, affichant son ouverture, elle mima la snob et s'écria avec ironie « populaiiire ? Quelle horreuuuur !!». Détendu, j'ai ri avec elle, et en profitais pour lui dire que nous envisagions de monter « Le dîner de cons » (projet vite abandonné ensuite). Aussitôt, sur son visage, rejaillit sans coup férir une expression d'écoeurement. Une distance s'afficha via un « ah ! Non, ça par contre... » que sans doute elle aurait aimer contenir davantage. Devant moi, elle devenait la snob qu'elle raillait quelques secondes plus tôt...

Attention toutefois : pas de contresens: non pas que je lui dénie la possibilité de ne pas apprécier Le dîner de cons ( je n'en raffolle pas non plus), mais l'on sentait là à quel point il lui était prioritairement INTERDIT d'envisager l'apprécier..

 

Je me souviens d'un partenaire associatif, lors de la préparation d'une soirée thématique commune au cinéma  : je lui disais, « attention à la date, en cas de gros match de l'OM...  ».  Un vigoureux « ce n'est pas le même plus public » (assorti d'un terrible «voyons !... », non prononcé mais bien ressenti) me fut immédiatement retorqué. Bon.

 

Je me souviens du Mercredi 18 Septembre 2013, salle comble pour l'avant-première du film Afrik'Aïoli de Christian Philibert. J'ai remercié le public pour ce bel engouement, expliquant que j'avais rarement rencontré cela, surtout en semaine avec la concurrence d'un gros match (OM-Arsenal) à la télévision.

Une grande partie des spectateurs a ri, quelques « ohhhh... » furent même entendus, exprimant l'idée que sans doute je plaisantais ! (Il ne saurait pour eux s'agir du « même public »). Mais j'étais très sérieux, et me suis chargé de leur confirmer gentiment, par un « si si c'est vrai !!! » sans ambiguïté. Christain Philibert, à ma droite, acquiessait. La présence d'une longue séquence du film consacrée la diffusion d'un match de l'OM au cœur du Sénégal finira d'exploser la posture !

 

Les postures existent en tous sens...

 

Je me souviens ainsi d'un spectateur, qui partageant mes choix éditoriaux diversifiés, vint me voir quelques jours après l'attribution du César du Meilleur Film à L'Esquive d'Abdelatif Kechiche.

Il semblait dénicher là le signe d'un parisianisme intello se targuant de récompenser un film que « personne n'avait vu ». Certain de trouver en moi un complice d'opinon, il en ricana. Je lui expliquais alors partager complètement ce choix des Césars (même si par ailleurs je me fous complètement des Césars !), que L'Esquive était pour moi aussi le meilleur film français de l'année, que le scandale n'était pas dans l'attribution du prix mais précisément dans le fait que trop peu de personnes l'avaient vu, faute de salles engagées d'abord, et parce trop de spectateurs se « l'interdisaient », pensant que ce n'était pas pour eux.

 

Lutter contre la posture, ce n'est pas niveler les choses.

Bien sûr que Francis Veber n'est pas Orson Welles. Bien sûr qu'un match de l'OM n'est pas un opera, que Ribery n'est pas Verdi...

 

Lutter contre la posture, ce n'est pas non plus renoncer aux choix. C'est prendre conscience de la sincérité ou non de leurs motivations, et ne pas s'INTERDIRE a priori des rencontres (en tous sens), par crainte de fissurer son image (image de soi, image devant les autres...)

 

La posture témoigne soit d'un amour de soi (« je vaux mieux que ce film, je n'irai pas le voir... ») soit d'une haine de soi (ce film n'est pas pour moi, je n'irai pas le voir). Deux revers d'une même médaille.

 

Les determinismes socio-culturels sont suffisamment prégnants pour que des catégorisations s'opérent et créent ce qu'on appelle « les publics ». C'est une réalité, alimentée de postures en tous genres. Nul ne saurait s'aveugler en le niant. Le « ciblage » (quel mot atroce) devient ainsi l'outil du communicant, et les phénomènes s'auto-renforcent.

 

« Ce n'est pas le même public... » cette phrase est mon ennemie de principe... quand bien même renverrait-elle à des réalités..., disais-je en début d'article.

 

Je n'en nie donc pas la pertinence factuelle, tout en me fixant pour but, chaque jour, d'en déconstruire les fondations, dans un idéal de brassages et de rencontres qui de temps à autre, se font jour...

 

Alors je m'en satisfais, comme d'une belle victoire face aux évidences.

Ce faisant peut-être suis-je, à mon tour, dans une forme de posture ;-)


02/10/2013
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L'HUMOUR DU MEDIATEUR...

Impératif numéro 1, à enseigner dans toute bonne école : conserver le sens de l'humour en toutes circonstances, lorsque l'on tient en mains les « destinées » d'une salle de cinéma.

 

Le sens de l'humour, toujours...

 

Pourquoi ?

Certes non, les genres cinématographiques ne se résument pas aux seules comédie.

Certes non, le plaisir d'un public ne repose pas sur ses seules exclamations d 'hilarité. (Chacun, régulièrement, se trouvant heureux d'être malheureux face au film.)

 

Il s'agit encore moins de savoir raconter à tout spectateur se présentant au guichet la dernière blague à la mode entendue chez Ruquier, ou le dernier dessin « trop drôle » vu sur Facebook.

 

Non, aucune sommation à la drôlerie n'est requise.

 

La conservation du sens de l'humour est tout simplement l'impératif peu glorieux mais nécessaire d'une bonne préservation de soi-même par la mise à distance des choses.

 

Se souvenir d'abord que si le cinéma n'existait pas, la planète tournerait tout pareil. Le monde avancerait. Sans doute moins bien, mais il avancerait.

 

Ensuite, et surtout, prendre acte, accepter la globale impuissance du « médiateur culturel », du « passeur », face à la masse. Le passeur, qui sitôt l'attention (la sienne ou celle du public) ramollie, trépasse plus qu'il ne passe.

 

Le programmateur culturel survit dans son monde de prototype, où toute offre précède toute demande (en dépit des stratégies d'anticipation et des tentatives de formatages multiples des films « produits », et parfois des lieux qui les diffusent... ). Il navigue dans la poésie de ses incertitudes, devant un ouvrage sans cesse à reprendre.

 

 

Ne point s'agacer... « Vite, sens de l'humour, reviens-moi », implore le médiateur au moindre signal négatif.
Ne point s'agacer devant cette grande majorité de spectateurs se précipitant sur une petite minorité de films. Ils ont leurs raisons pour cela. La première, très belle, étant la quête de référents communs. Toute raison est par définition respectable. Donc : ne jamais sombrer dans le mepris. Jamais. (« Vite, sens de l'humour, reviens !»).

 

En conséquence, ne point se déséspérer de voir deux des plus beaux et puissants films français de ces dernières années, OMBLINE de Stéphane Cazes et LES CHANTS DE MANDRIN, de Rabah Ameur-Zaïmche, peiner à atteindre les 20 000 entrées France au total. (« Reviens, sens de l'humour !») .

 



Ombline.jpg
Les chants de Mandrin.jpg

Se rassurer, se rappeler que le public est maître, que son choix est souverain, et que cela reste dans l'absolu la meilleure nouvelle qui soit...

 

Mais le médiateur se souhaiterait parfois prescripteur, c'est sa qualité, c'est son défaut.

Il vit dans un perpétuel état d'urgence. Celui de tout un chacun apprenant une grande nouvelle, et qui ne recherche qu'une chose : en faire part. Cet état de conscience peu reposant est le quotidien du médiateur inviesti. L'humour est son remède.

 

Il se voudrait prescripteur... Las... il n'est tout au plus qu'indicateur, satisfait lorsque quelques spectateurs daignent porter attention à ce qu'il leur désigne. Et comblé lorsqu'ils l'en remercient.

Comblé comme nous le fûmes , aux lumières de Vitrolles, devant notre salle pleine et chavirée, à l'issue des projections de...  OMBLINE et LES CHANTS DE MANDRIN.

Instants de graces, en présence des réalisateurs, vécus lors des deux dernières éditions de notre Festival Polar en Lumières.

 

 

 

Ombline 2.jpg

 

 

 

Sensation d'avoir été, le temps d'une séance, des voleurs de temps, des chasseurs d'évidence, au grand profit de la rencontre et de la découverte.

 

 

Programmateur culturel est un métier de voleur, un métier de contrebandier... qui a de l'humour. 

mandrin.jpg

 


28/09/2013
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